Par Diandra Chatelard
Ostalgie, le néologisme de la nostalgie
Le mot allemand « ostalgie » est un néologisme dérivé du mot «nostalgie». En enlevant le -n de nostalgie, il ne reste que -ost, ce qui signifie « Est » en allemand. Ce terme a été créé pour désigner le sentiment nostalgique qu’ont éprouvés et qu’éprouvent jusqu’à aujourd’hui les Allemands de l’Est, attachés à l’ancien régime de la République démocratique allemande (RDA).
La réunification allemande a créé un véritable bouleversement dans le quotidien des Allemands de l’Est puisque leurs habitudes ont changé, obligés de s’adapter au système capitaliste.
Pourtant, ce terme va bien au-delà de cette simple définition puisqu’il renvoie à des habitudes de consommations et de divertissements spécifiques à cet ancien système. L’ostalgie est bien plus qu’un sentiment, elle fait aujourd’hui partie de la culture allemande.
La réunification, un facteur de l’ostalgie
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la RDA est devenue une utopie à laquelle un bon nombre d’Allemands se sont accrochés. En effet, la libération soviétique dans les régions de l’Est participe à la genèse de ce régime. En 1989, la réunification met cependant fin à cette utopie socialiste du « moi pleinement développé » promis par le système de la RDA. Les Allemands de l’Est se tournent alors vers les produits de l’Ouest dont ils avaient tant rêvé. Dix années plus tard, l’unification ne s’est pas avérée si positive pour eux puisqu’ils se sont retrouvés à avoir un statut subordonné, au bas de l’échelle économique et sociale de la société allemande. Cette partie de la population est victime, jusqu’ à aujourd ’hui , d e déséquilibres tels qu’un haut taux de chômage et de bas salaires par rapport aux citoyens des régions de l’Ouest. Cette incapacité à s’adapter à ce nouveau système a créé une nouvelle forme de nostalgie : l’ostalgie.
L’ostalgie est ainsi apparue au début des années 2 0 0 0 , avec le retour des Ostprodukte (les produits de l’Est) dans les épiceries, dans les brocantes ou encore sur Internet. Depuis, une forte marchandisation de l’ostalgie s’est développée avec des magasins comme Intershop 2000 qui vendent des produits de l’époque de la RDA afin de répondre à une clientèle demandant les articles de leur passé. L’ostalgie est alors perçue à la fois de façon positive puisqu’elle met en avant le lien émotionnel des Allemands de l’Est par rapport à leur passé spécifique, leurs habitudes de vie. Tandis qu’elle est également vue de façon péjorative en répandant l’image selon laquelle les Allemands de l’Est sont attachés à un passé socialiste qui a été un échec.
Dans son livre What remains everyday encounters with the Socialist Past in Germany publié en 2017, l’auteur Jonathan Bach parle de deux nostalgies : la nostalgie moderne et la nostalgie de style.
La nostalgie moderne

Selon lui, le régime socialiste a créé une utopie selon laquelle le travail dur, le travail ouvrier, produit non seulement un état de satisfaction matérielle, mais également un État utopique. Ce n’est pas le cas du système capitaliste dans lequel la consommation est une production ellemême ; il faut donc produire pour gagner. Dans l’ancien système de la RDA, les travailleurs pouvaient passer leur vie à désirer un objet, tel que la trabant. Ce désir crée un sentiment de manque et la nostalgie d’une société meilleure, une utopie qui n’a pu se réaliser à cause de la réunification. Le système capitaliste les oblige donc à vivre autrement. Ainsi, la réunification n’a pas permis aux désirs socialistes de s’accorder aux désirs capitalistes, créant une nostalgie moderne qui apparaît après la réunification. Depuis que l’Allemagne de l’Est s’est intégrée à l’Allemagne de l’Ouest, les Allemands de l’Ouest exercent une suprématie sur l’économie, la culture et les politiques de l’Est. L’Est est désormais subordonné à l’Ouest alors que la RDA était le leader des pays du bloc soviétique. Certains Allemands de l’Est vont s’attacher aux objets de leur passé afin de lutter contre la supériorité de l’Ouest. À partir de la réunification, les produits de l’Est sont devenus des biens commerciaux à vocation marketing dans des marchés ou encore des musées. Selon J.Bach, la nostalgie moderne représente donc la rencontre entre le désir socialiste et celui du marché de l’Ouest où les consommateurs s’identifient à leurs produits.
De même, il va parler de la nostalgie de style qui est utilisé comme moyen marketing afin de vendre les objets rattachés à ce passé communiste.
La nostalgie de style
De plus en plus en Allemagne, et surtout à Berlin, nous pouvons constater le retour des Ostprodukte dans les boutiques pour touristes, les musées et les brocantes. Leur design particulier a bien sûr attiré l’attention des Allemands de l’Ouest. Il y a une appropriation des objets de l’Est faite autant par les Allemands de l’Est que ceux de l’Ouest. La nostalgie de style n’est donc pas liée à un souvenir, à un sentiment d’appartenance ou encore à une spécificité du passé, mais bien à une signification matérielle. Le consommateur devient un marché et l’accent est mis sur l’esthétique très spécifique des objets de l’Est. Cette forme de nostalgie joue sur les émotions par rapport au passé. Elle produit une marchandisation des objets de l’ex-RDA et crée le développement de plusieurs édifices comme le DDR Museum, TrabiWorld ou encore VEBorange.
Les deux vagues d’ostalgie

Pour l’auteur Claire Demesmay, il existe deux périodes d’ostalgie. Dans sa publication La mémoire de la RDA : nostalgie d’une époque révolue ou besoin de reconnaissance dans le livre Qui sont les Allemands ?, publié en 2006, l’auteure Claire Demesmay développe l’idée selon laquelle il y aurait deux périodes d’ostalgie. La première serait apparue à l’année 1993 et toucherait exclusivement les Allemands de l’Est.
C’est quelques années après la réunification que celle-ci s’est développée, lorsque plusieurs voix défendaient l’idée selon laquelle « tout n’était pas négatif en RDA ». Leur vie a ainsi été bouleversée, la plupart seraient heureux de cette réunification, mais garderaient de bons souvenirs du passé. L’auteure Demesmay utilise une métaphore de l’ostalgie comme « deuil collectif vécu à retardement ». Il est vrai que les Allemands de l’Est avaient des habitudes qui ont changé du jour au lendemain et ils ont dû s’habituer à un nouveau système totalement différent du leur. La seconde vague d’ostalgie, quant à elle, date de la fin des années 1990 et concerne toute l’Allemagne. Cette seconde vague d’ostalgie serait la plus connue, car elle met en avant le caractère divertissant de cette partie de l’histoire allemande. Plusieurs œuvres ont été faites à ce sujet, telles que le film Good Bye Lénin ou encore le DDR Show. Avec tous les moyens marketing mis en place autour de ce phénomène, l’ostalgie est aujourd’hui présente dans le quotidien des Allemands de l’Est comme de l’Ouest.
Il existe ainsi plusieurs formes d’ostalgie. Selon les auteurs, elle peut varier, mais ils reviennent toujours au même point : elle a évolué à travers le temps en passant d’une nostalgie limitée aux habitants de l’ex-RDA, puis s’est élargie au reste de l’Allemagne, voire même au reste du monde. Dans les pages qui suivent, nous parlerons des deux formes d’ostalgie développées par l’auteur Marina Chauliac, l’ostalgie sociale et l’ostalgie identitaire.
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