Nostalgie et mélancolie de gauche: devant les ruines de l’ex-RDA – partie 5

Par Samuel Provost

Rostock

Il est convenu que la transmission vers le capitalisme fut en Allemagne de l’Est beaucoup plus pacifique que dans plusieurs autres pays du bloc soviétique. Les tensions étaient plus grandes dans l’ex-Yougoslavie, en Roumanie, en Ukraine, où plusieurs coups d’État sous fond de violence nationaliste eurent lieu. C’était l’éclatement du bloc qui laissait présager la montée actuelle du fascisme et de l’extrême droite, mais qu’on a vite fait de refouler sous plus de néolibéralisme et de zone euro.

Dans les années 90, un peu partout en Occident, il y eut une certaine émergence de mouvements néonazis. À Montréal, il y a eu une manifestation du KKK dans Hochelaga et le meurtre d’un jeune homosexuel. En France, c’était la percée du FN et une victoire au premier tour. L’Allemagne au même moment suivait la tendance, et particulièrement à l’Est. À Rostock en 1992, il y eut des émeutes contre les réfugiés. Les émeutes de Rostock-Lichtenhagen ont duré trois jours. Des néonazis de l’Ouest comme de l’Est ont tenté de mettre le feu à un Plattenbau. Là-bas résidait des réfugiés, principalement vietnamiens. Heureusement, il n’y eut aucun mort.

En me promenant sur la plage non loin des Plattenbau où les émeutes avaient eu lieu, je me suis mis à réfléchir aux tristes ironies de l’histoire. Les réfugié.e.s vietnamien.ne.s, venant d’un pays frère où on avait lutté courageusement contre l’envahisseur américain, d’un pays où on s’était battu pour le socialisme, étaient les cibles de ces actes odieux. Après qu’on ait déclaré l’idéal socialiste fini pour de bon, ils devenaient doublement étranger.ère.s.

Un peu plus tard, éloigné des appartements, plus près de la plage et de la Ostsee, j’ai décidé d’aller vers un phare qui était accessible de la côte. Un chemin de ciment était aménagé et de grandes roches en pointes agissaient comme brise vague pour nous protéger. Entre chaque grande pierre, il y avait des crevasses où s’accumulaient l’eau et les déchets de la mer. En marchant, une odeur sulfureuse et écœurante m’a pris au nez. Quand on est proche de la côte, il est possible de voir des corps d’animaux morts qui se déposent dans ces crevasses.

Continuant mon chemin, je voyais mal le bout du quai. La cime pâle et les gens se mélangeaient au loin. Ils étaient tous là, en vacances pour la fin de semaine et, moi, je m’y promenais épuisé. Je portais mon grand sac à dos d’auberge en auberge. Arrivé à la fin du quai, près du phare, j’ai constaté que ce dernier ne fonctionnait plus. Les bateaux avaient depuis longtemps trouvé une autre entrée vers la ville, beaucoup plus loin. Quelques visiteurs venus des villages avoisinants, accompagnés de leur ami.e.s, prenaient leur temps pour poser devant le phare. Un peu plus tard, un d’entre eux me demanda de le prendre en photo. Il m’a tendu, avec sa main tatouée d’un espèce de soleil noir, son appareil.

J’ai quitté rapidement, troublé, me souciant peu de bien cadrer la photo dans le paysage. Il ne me restait plus que 30 minutes pour rejoindre mon train qui était au centre-ville. 

Le train est passé devant l’exposition du Palais de la République, puis j’ai entrevu, posée pas loin de la gare, une affiche d’une certaine Rosa Luxemburg Stiftung, que j’avais déjà aperçue dans mon auberge. Ça m’a rassuré de me dire qu’entre tous ces anniversaires, c’était aussi le 100e du soulèvement spartakiste.


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