Par Samuel Provost
Les palais et la république
J’ai passé quelque temps à Rostock. Au centre de la ville, il y avait la manifestation annuelle du CSD. C’était l’anniversaire des 50 ans de l’émeute de Stonewall. La fameuse émeute qui avait fait naître les premiers mouvements LGBT. L’hôtel de jeunesse où j’étais, le Subraum hostel, accueillait l’after-party. Dans cette ville du nord-est, les jeunes LGBT s’en donnaient à cœur joie jusqu’aux petites heures du matin. On avait décoré l’hôtel de façon somptueusement kitsch. D’abord, des paillettes partout. C’était un minimum. Ensuite, comme dans un hall ou une galerie, il y avait des portraits géants de grandes figures de l’histoire LGBT. Elles devaient faire chacune 2 mètres de haut. Enfin, il y avait des guirlandes et des lumières brillant à chaque coin des grandes salles où la jeunesse dansait à une fête populaire qui ne lui est pas toujours permise, surtout dans les petits villages renfermés qui parsèment la région.
C’est toutefois l’anniversaire d’un 50e anniversaire, autre que le précédent, qui m’attirait par là. Les 50 ans de la Fondation de la Galerie d’art de Rostock étaient célébrés et pour souligner l’occasion, une exposition sur le Palais de la République de Berlin avait été organisée. La galerie construite durant la RDA cherchait ainsi à célébrer un autre bâtiment qui représenta une certaine ouverture du régime.
J’ai compris assez vite que le palais de la République, ce n’était pas le Palais du parlement de Nicolae Ceaușescu. Plutôt qu’un monument censé montrer la force et le pouvoir absolu du régime en place, il semblait bizarrement témoigner de ce qui n’y était pas. Lieu de luxe accessible à tous, le palais entrait en contradiction avec les étagères et ventres vides dans les commerces de province. Oasis ou mirage, il offrait tout de même un répit à l’esprit fatigué de l’austère. Et peut-être l’espoir d’un autre régime.
Plusieurs des manifestations de 1989 ont eu lieu devant le palais. Puis après, il y en eut contre l’inaction du gouvernement qui le laissait tomber en ruine. En 1989, il aurait été possible de lire ce choix d’emplacement comme une façon de dénoncer le « masque », la fausse apparence que se donnait le régime en place. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Peut-être que c’était aussi un lieu où on pouvait vraiment s’imaginer en égalité. À la limite, il est plus facile de parler au nom d’un idéal, d’une utopie quand une part de celle-ci, ou du moins de son idée, l’idée d’une utopie, est devant nos yeux.
De nos jours, le palais de la République, devenu palais du peuple au milieu des années 90, a été détruit. Sur le même terrain, on y reconstruit le Forum Humboldt. Dans le nouveau bâtiment, les architectes comptent installer un musée d’ethnologie et un musée d’art asiatique. On y présentera des artefacts de la vie passée d’autres peuples. Et tant pis si certains artefacts furent volés au patrimoine ou à la mémoire d’un peuple. Ce ne sera pas la première fois.
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2 commentaires pour “Nostalgie et mélancolie de gauche: devant les ruines de l’ex-RDA – partie 4”