Nostalgie et mélancolie de gauche: devant les ruines de l’ex-RDA – partie 3

Par Samuel Provost

Nostalgie et mélancolie

La mélancolie et la nostalgie sont deux sentiments qui se développent souvent à partir d’un objet qui a chu ou qui n’a jamais été. La disparition ou la non-existence de cet objet peut être saisie comme une perte ou un manque. Dans son quatrième séminaire sur la relation d’objet, Lacan distingue de façon très précise la frustration, la privation et la castration en les mettant en relation avec ses trois registres : le réel, le symbolique et l’imaginaire

De façon succincte et un peu schématique, on peut qualifier l’imaginaire comme étant dans le monde du semblant, de l’image et du double, c’est aussi le lieu de l’identité, de la signification et de l’aliénation nécessaire pour conserver l’unité du sujet. Le symbolique, lui, est de l’ordre de la loi et du signifiant. Il est la dimension dans laquelle le sujet parvient à la parole et cette parole atteint quelque chose du désir qui le constitue. Le réel, qui n’est pas la réalité est plutôt du côté de ce qui résiste et qui fait trébucher le sujet. Il est ce qui est à sa place même quand il ne l’est pas et il dépasse en quelque sorte la symbolisation :

Tout ce qui est réel est toujours et obligatoirement à sa place, même quand on le dérange. Le réel a comme propriété de porter sa place à la semelle de ses souliers. […] L’absence de quelque chose dans le réel est purement symbolique […] pensez à ce qui se passe quand vous demandez un livre dans une bibliothèque. On vous dit qu’il manque à sa place, il peut être juste à côté, il n’en reste pas moins qu’en principe il manque à sa place, qu’il est par principe invisible. »

LACAN, Jacques. La Relation d’objet: séminaire livre IV, Paris, Seuil, «Le champ freudien», 1994, p.28

Les notions lacaniennes entourant le manque d’objet sont très subtiles et impliquent trois termes pour chacune des trois relations de manque d’objet, chacun situé à différents registres. Un tableau comprenant neuf entrées, donc. Afin de traiter les questions de nostalgie et de mélancolie, nous n’avons pas besoin de tout l’appareil lacanien. Il nous suffit seulement de caractériser le manque d’objet au niveau de l’imaginaire et du symbolique. À ce sujet, je propose de différer un peu de la terminologie lacanienne afin d’utiliser des mots plus évocateurs.

J’appelle, perte le défaut de l’objet qui maintient une dimension de l’image de l’objet sans que celui-ci soit présent. Alors qu’un objet perdu existe encore — a priori — de façon réelle et représentable, un objet manquant n’a pas ce caractère représentable : on le cherche sans trop en donner une unité représentable. J’appelle donc manque la relation à un objet qui fait défaut dans le registre symbolique.

La nostalgie serait donc principalement un affect qui à trait aux objets perdus, tandis que la mélancolie, suivant l’article de Freud Deuil et mélancolie aurait beaucoup plus à voir avec un objet perdu dont la représentation pose problème. Ou bien la représentation est refoulée, ou bien elle est vécue comme douleur lorsque le sujet cherche à se la représenter : cette perte est inacceptable. Le manque étant en quelque sorte une perte à une puissance supérieure. Cette perte de la représentation peut, en suivant l’idée de mélancolie clinique, être le résultat d’un refoulement, d’une défense contre la vérité de la chose qui a chu, mais il peut aussi viser une sublimation. Ainsi, le sujet persistant dans une volonté d’éviter la représentation, la signification, garde le signe indéterminé pour en faire quelque chose qui puisse soutenir désirs et contradictions.

À sa façon, la nostalgie comporte également plus qu’une facette réactionnaire. Dans la nostalgie, le moi, l’identité du sujet, parvient à une unité avec l’objet « perdu ». Il vise habituellement à nier les dimensions plus contradictoires du passé. La nostalgie permet d’opposer, de contredire avec un certain aplomb, lorsque le sujet est dans une position défavorisée, voire nié dans son droit à l’existence ; c’est tout le contraire du désœuvrement de la mélancolie. La dimension imaginaire constitutive de la nostalgie, là où a lieu la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, c’est le terrain de jeu de la reconnaissance. Tantôt, affirmation contestataire du perdant de l’histoire contre l’écrasement sous narration totalisante, tantôt, vanité narcissique de celui ou celle qui a vécu le meilleur des temps ; la nostalgie est entre revendication et satisfaction.

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