Nostalgie et mélancolie de gauche: devant les ruines de l’ex-RDA – partie 2

Par Samuel Provost

L’écriture et démarche

Lors de la rédaction de ces pages, j’ai été pris de nombreuses difficultés d’écriture. Comment essayer de rester fidèle à mes idéaux en évitant de masquer la sombre réalité d’un passé complexe à décrire ? Au début, c’était presque en m’en excusant que je parvenais à déposer quelques lignes sur la page. La culpabilité de plusieurs vis-à-vis de ce passé était contagieuse jusqu’à me faire désespérer de même m’y intéresser. Sinon j’écrivais avec les mots de celui qui évite, qui circonscrit toujours plus son sujet, jusqu’à ne toucher à rien de ce qui l’intéresse vraiment. Le texte était pris entre un effet d’annulation, voire de contradiction, et un de désinvestissement.

Avec le temps, j’ai constaté que ce sujet exige une approche plus subjective et symbolique que celle d’un passé immédiat et continu. Après la chute du Mur, de façon encore plus forte que pour d’autres formations historiques, il semblait clair que le socialisme de ce type ne reviendrait plus. Il y eut une discontinuité qui ferma le 20e siècle, commencé par la Première Guerre mondiale. La gauche ne se reconnaissait plus dans le projet socialiste né de la révolution d’octobre et ce fut le développement des mouvements altermondialistes : un autre monde est possible. Ce slogan défiait par son espoir apparent. Pourtant, j’entendais aussi une contrepartie plus sombre à cet appel. Au pied de la lettre, si un autre monde est possible c’est que celui-ci, le monde actuel, est impossible. Pas seulement comme l’entendent les décroissants, mais au jour le jour. Nous sommes pris dans ce monde où il n’y a rien à faire que d’endurer, qui est impossible à vivre et à changer.

Écrire le pessimisme montant des années 90, écrire l’objet sans espoir, plutôt que l’espoir sans objet, ce fut ma façon de m’introduire à même les portraits et de symboliser temporellement mon approche vis-à-vis de la nostalgie et de la mélancolie de gauche envers un certain projet qui a pris sa place en Allemagne de l’Est, mais aussi envers la rage de la nostalgie déçue.

Au fil de ma recherche, j’ai côtoyé les figures d’une écrivaine et d’un chanteur qui ont critiqué très directement le pouvoir en place, qui ont vécu la répression de la RDA, mais qui ont aussi collaboré avec la Stasi. Mais aussi, des individus qui n’ont pas cessé de croire en un projet socialiste plus humain, même après la chute du Mur.

Bien qu’ils diffèrent d’avis sur plusieurs enjeux, dont la conception qu’ils se font des manifestations de 1989, ils semblent s’entendre sur la nécessité de ne pas mettre si facilement de côté ce passé. Le premier, oscillant entre mélancolie et nostalgie dans ces chansons, représente le peuple désuni ou à venir. La seconde essaie de mettre au clair dans la langue le rapport à ce passé. Et plus je lisais sur les deux figures, plus je voyais ce qu’ils expliquaient au sujet du piège des mots trop totalisants ou dichotomisés, mais aussi concernant le piège d’éviter d’en parler

Gerhard Gundermann et Christa Wolf ont reçu chacun deux dossiers : victime et « bourreau ». Ils ont demandé à voir et ont vu leur dossier de « bourreau » même s’ils n’en avaient pas le droit. Les deux avaient une amnésie similaire quant à ce qu’ils ont fait. Ils avaient refoulé cette part de leur histoire. Pourtant, ils désiraient voir tout de même.

En regardant directement ce qui était enfoui dans l’horrible du système de la RDA, il me semble qu’ils en sont sortis avec une nouvelle conviction, plus ouverte et forte de sa sensibilité. Le socialisme de la RDA n’était pas le monstre totalitaire ni le paradis des travailleur.euse.s. Ils osaient dire ce qui avait existé sans avoir honte.

Pour ma part, je ne peux en parler comme si c’était réellement un souvenir qui me fut transmis ou que j’ai vécu. J’ai dû choisir de parler des affects qui venaient lorsque je pensais à la RDA. Ainsi, j’ai pris cet ancien état socialiste comme un signe pouvant recevoir des significations multiples et inattendues. Ce signe, présent et absent, fonctionnant tel un point d’interrogation qui se frotte à ma conviction.


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