Par Alys Ouellet
Le média de la bande dessinée est quelque chose qui m’a toujours intéressée et, dès le début du voyage, je savais que c’était le média dont je voulais me servir pour explorer le thème de l’ostalgie. En faisant quelques recherches, cette intention s’est solidifiée. J’ai découvert qu’une montée de la popularité de la bande dessinée destinée à un jeune public a été observée dans l’Allemagne d’après-guerre (Gaumer, 2004), ce qui a guidé mes décisions artistiques tout au long de ce travail.
Autant à l’Ouest qu’à l’Est, la bande dessinée fut un objet de distraction pour les enfants, mais aussi pour les jeunes adultes. Du côté de la RDA, des petites bandes illustrées furent leur apparition dans quelques magazines. Bien que destinés à un public jeune, ces magazines contenaient parfois des messages politiques et propagandistes (Gaumer, 2004). Je n’ai pas pu trouver la confirmation que ces messages se trouvaient aussi dans les bandes dessinées, mais cela ne me surprendrait pas. C’est pourquoi j’ai été portée à me diriger vers un style de bande dessinée qui pourrait paraitre enfantin, mais qui en fait ne l’est pas.
De plus, le style que j’ai décidé d’exploiter pourrait interpeller la nostalgie de certain.e.s « ostalgiques », puisque l’inspiration provient de bandes dessinées de l’époque de la RDA que j’ai trouvées (entre autres avec l’aide de mes professeur.e.s et collègues. Merci !). L’utilisation d’un style de dessin simplifié ainsi que le fait que les deux personnages principaux soient des enfants sont, entre autres, le résultat de mon désir de rendre la bande dessinée enfantine au premier regard.
Cependant, quelques éléments incorporés à l’histoire rappellent le contexte sociohistorique de l’époque et rendent la bande dessinée pertinente pour un public plus adulte.
Tous d’abord, j’aimerais parler de l’habit des personnages principaux. Les deux enfants, Helma et Helmut de leurs prénoms, qu’on suit au travers de leurs aventures, sont habillé.e.s dans les habits de la TP. La TP, ou l’organisation des pionniers Ernst Thälmann, était l’équivalent est-allemand des scouts. Durant notre visite au musée de la RDA à Berlin, notre guide nous a appris que bien que la participation des jeunes dans cette organisation n’était pas obligatoire, omettre d’y inscrire son enfant était mal vu. Ainsi, lors des rencontres de cette organisation, les enfants faisaient différents types d’activité, comme chanter des chansons prosocialistes par exemple. Cette organisation avait pour but d’exposer très tôt la jeunesse de la RDA aux valeurs et à la propagande socialistes et communistes.
Ainsi, l’une des histoires illustrées dans ma bande dessinée porte sur la chanson. La scène se déroule comme suit : on demande aux enfants de chanter, mais, comme nos deux personnages principaux ne chantent pas très bien, l’instructeur les en empêche en fermant leurs bouches avec du ruban adhésif.
La métaphore illustrée pourrait être ignorée par un.e enfant, mais le serait difficilement par un.e adulte connaissant les conditions de vie à l’est du mur de Berlin. Cette bande porte alors sur le sujet de la liberté d’expression ; les enfants ne chantent pas les chansons prorégimes comme l’instructeur le veut (opinion divergente), donc il les empêche de chanter (liberté d’expression brimée).
Ici, l’utilisation d’un style enfantin et d’un ton comique permet la dissimulation du message du manque de liberté d’expression.
La bande suivante illustre nos deux personnages qui jouent un mauvais tour à un adulte ; à l’aide d’une distraction, ils lui volent ses documents et les remplacent par autre chose. En y portant une plus grande attention, on peut voir que sur les documents initiaux, le mot Stasi y est inscrit. Ainsi, les enfants viennent de nuire à un agent double de la Stasi, en remplaçant son compte-rendu par un document intitulé « Blumen ».
Comme nous l’avons appris lors de notre visite au Musée de la RDA et à la prison de la Stasi, les agent.e.s de la Stasi pouvaient autant être un.e membre de la famille, un.e professeur.e avec le mandat de surveiller les familles par l’entremise des enfants, ou n’importe qui d’autre. Ici, l’utilisation du style enfantin et l’humour permettent d’illustrer subtilement l’omniprésence du régime.
Finalement, dans la dernière bande, les enfants voient une file d’attente et agissent en fonction de l’ancien dicton est-allemand que j’ai entendu pendant mon voyage : « lorsqu’on voit une file d’attente dans la RDA, il faut la joindre et après demander pourquoi ». Bien que la scène puisse paraitre légèrement ridicule, elle illustre les pénuries qui sévissaient dans la RDA.
De ce fait, ma bande dessinée, bien que construite de façon à toucher l’ostalgie des gens, se veut aussi une critique du régime de la RDA. L’utilisation du style enfantin m’a permis de le faire avec une légèreté insidieuse.
Cette bande dessinée s’adresse à tous les âges et horizons, mais elle ne se lira pas de la même manière pour tout le monde.
Bibliographie
Gaumer, P. (2004). « Allemagne » Larousse de la BD, 1-3.