Par Melyssa Lemieux
Pour la réalisation du projet personnel concernant l’ostalgie, mon but depuis le tout début était de créer une chanson. La musique est importante dans la culture allemande puisqu’elle est symbole de liberté et d’expression à la suite des guerres vécues ainsi qu’après la séparation. J’ai donc voulu m’inspirer de ce que j’observais à Berlin et ailleurs en Allemagne. Comme il s’agit d’un projet très artistique, c’est un processus assez particulier qui requiert de la patience ; l’inspiration n’étant évidemment pas sur commande.
Un aspect intéressant que j’ai observé pendant mon séjour dans la capitale allemande est que, malgré la lourdeur historique qui se ressent à travers la ville et les bâtiments, une vague de changement est présente avec la nouvelle génération. Les jeunes semblent se sentir plus détachés de toute cette histoire derrière eux, ce qui a du sens puisqu’ils ne l’ont pas vécue. Je crois qu’on souhaite passer à autre chose, accepter le passé qui ne nous appartient pas, sans toutefois l’oublier, et bâtir un présent et un futur dans la liberté, sans culpabilisation inutile. Bref, les gens semblent vivre comme si rien ne s’était produit. Lors de mon séjour, mes amis allemands me parlaient très rarement des événements du passé, et quand ils le faisaient, c’était de façon plutôt banale, dans le sens où ils ne semblaient pas en éprouver de honte ou autres sentiments de culpabilisation.
Pour ce qui est de la question d’ostalgie, je ne m’y connaissais pas beaucoup, ce qui a d’ailleurs allongé le processus de création. J’ai pris le temps de m’informer et de me familiariser avec le sujet plutôt vague, n’ayant moi-même pas vécu en l’Allemagne de l’Est à l’époque de la séparation, mais aussi n’étant pas d’origine allemande. Je trouve qu’il peut parfois être difficile de comprendre certaines choses que nous n’avons pas vécues. Lorsque j’étais à Berlin, je pensais orienter la chanson vers une quête d’identité à travers la séparation et l’évolution quant à aujourd’hui. Afin de mieux comprendre ce phénomène de la nouvelle génération et de voir si mon observation était bonne, j’ai questionné quelques amis d’origine allemande à propos de leurs propres expériences et impressions. Malheureusement, ces discussions m’ont encore laissée sur un flou, sans inspiration pour la création d’un texte.
En ce qui concerne la composition de la chanson, habituellement, j’ai plusieurs manières de fonctionner. J’ai tendance à être beaucoup inspirée lorsque je me retrouve en nature. J’ai donc pris la peine de faire une escapade en Suisse saxonne (Sächsische Schweiz) pour me vider la tête et la remplir d’idées à la fois. Aussi, la ville est un lieu qui peut m’inspirer, ce qui est étonnant puisque c’est complètement l’opposé. Il y avait énormément de choses à observer à Berlin, beaucoup d’actions, beaucoup de matériels liés à la mémoire et beaucoup d’humains. J’aimais beaucoup me promener afin de contempler toutes ces choses et ces personnes, à la recherche de muses. J’avais toujours mon téléphone sur moi pour enregistrer des idées de paroles et de mélodies qui me venaient soudainement à l’esprit pendant ces moments d’exploration. Encore une fois, malheureusement, toutes ces tentatives n’ont pas vraiment fonctionné.
Une fois revenue à Montréal et un peu paniquée, je n’avais plus le choix de commencer à créer. J’ai donc demandé à ma bonne amie musicienne La Carotte Polaire (Claudia) son avis. Elle m’a rappelé que, au Québec, la musique traditionnelle est plutôt reconnue pour les thèmes nostalgiques. En effet, j’avais oublié ce détail, étant un peu trop plongée dans la culture allemande. J’ai donc ensuite demandé à une autre amie musicienne, Sissi-Catherine Michaud (Rosema Tulip) ce qu’elle en pensait. Elle s’y connait beaucoup en musique traditionnelle et en compose d’ailleurs beaucoup. Elle était donc partante pour m’aider dans le processus de composition. Notre idée était différente de tout ce à quoi j’avais pensé pendant mon séjour à Berlin. Mon but était alors de composer une complainte traditionnelle racontant l’histoire d’une femme abandonnée par son homme.
Sissi et moi nous sommes rencontrées une première fois à mon appartement dans le but de commencer le processus de création de la chanson ensemble. En seulement quelques heures, la moitié du travail était fait. Nous avions déjà toute l’histoire en tête, donc c’était assez facile. C’est aussi à ce moment que je me suis rappelé que ma façon préférée de composer et de jouer de la musique est de le faire en partage. Je me sens souvent très inspirée en travail d’équipe. Ainsi, j’ai commencé par jouer des accords au ukulélé dans la même tonalité que la flûte de Sissi afin qu’elle puisse jouer pendant les interludes. Nous nous sommes ensuite laissé inspirer par cette tonalité pour chanter une mélodie et y ajouter des paroles. Après une deuxième rencontre, la chanson était terminée. Le concept d’une complainte est souvent très simple ; c’est un couplet suivi d’un court refrain, puis d’une mélodie instrumentale et le tout est répété plusieurs fois jusqu’à ce que l’histoire soit terminée. Au début, je pensais garder le ukulélé dans la chanson, mais j’ai ensuite invité mon ami Vincent Deit à venir l’essayer avec son bouzouki. La sonorité était vraiment plus intéressante et apportait une touche plus traditionnelle. Je suis très contente du résultat avec Vincent au bouzouki, Sissi à la flûte et moi au chant.
Pour ce qui est de l’histoire, j’ai décidé de raconter, fictivement, celle d’une femme habitant à l’est du mur de Berlin. Son mari était parti à l’Ouest quelques jours avant la construction du Mur, lui ayant promis de revenir le mardi suivant. Néanmoins, le dimanche au matin, le Mur a été construit sans qu’elle s’en doute. Pendant toute la période de l’Allemagne divisée, elle gardait espoir de le revoir encore, mais jamais il ne rentrait. C’est seulement lors de la chute du Mur qu’elle le revoit enfin, main dans la main avec une nouvelle bien-aimée. Il avait refait sa vie, pendant qu’elle l’attendait, pensant à lui et espérant le retrouver durant presque 30 ans. Depuis cette découverte, elle aurait préféré que le Mur ne tombe jamais afin qu’elle reste dans l’espoir et garde en tête les beaux souvenirs plutôt que d’affronter la vérité. Les deux premières lignes de chaque couplet parlent de l’évolution du Mur, alors que les deux lignes suivantes concernent la relation d’espoir de la femme. Ensuite vient le court refrain chanté en allemand. Celui-ci représente mot pour mot ce que son mari lui avait dit avant de partir : qu’il l’aimait, de l’attendre, il reviendrait à ses côtés. C’était important pour moi d’écrire une partie de la chanson en allemand. Autant pour le défi de le faire que pour la signification ostalgique que ça apporte. Le processus de création, si on compte les multiples tentatives à Berlin, fut très long. Par contre, une fois commencée, la chanson s’est faite en un claquement de doigts.